Il était une fois, dans un royaume oublié, un lièvre d’une beauté éblouissante. Il était si beau, si grand qu’aucun eut cru qu’il venait d’ici. Il était majestueux, vétu d’un pelage plus blanc que la neige. On disait qu’il était le dernier de sa lignée, une créature née pour courir sans fin, poursuivant le Soleil à travers plaines, montagnes et forêts. Infatigable, il ne s’arrêtait jamais, comme si le moindre instant de repos pouvait lui faire perdre l’éclat qu’il portait en lui. Les créatures de la Terre l’admiraient, fascinées par son allure majestueuse et sa course qui semblait défier le temps lui-même. Mais aucun n’osait l’approcher.
Jusqu’au jour où une petite souris apparut. Si menue qu’elle paraissait insignifiante à côté de lui, elle possédait pourtant une grâce telle qu’elle semblait flotter à ses côtés. Elle s’élança, l’accompagnant dans sa course folle. Elle murmurait à son oreille des mots doux comme du miel, mais le grand lièvre, absorbé par son obsession du Soleil, refusait de l’écouter.
Le lièvre ne répondait jamais. Il n’entendait qu’une seule chose : le battement du Soleil, là-bas, toujours un peu plus loin, comme une flamme insaisissable qu’il voulait toucher.
La souris, persévérante, continua. Ses murmures étaient comme une mélodie fine et hypnotique, si bien qu’un jour, le lièvre blanc s’arrêta pour l’écouter. Ce qu’elle lui dit alors reste un mystère, mais ses paroles furent assez puissantes pour détourner le lièvre de sa quête. Le Soleil s’échappa, glissant lentement à l’horizon, et le lièvre, réalisant qu’il avait laissé filer sa lumière, pleura pour la première fois. Ses larmes tombèrent sur la terre, scintillantes comme des rivières d’argent, illuminant le crépuscule de reflets magiques.
La petite souris vint alors se blottir contre lui. Bien qu’elle fût petite, sa chaleur réchauffa le cœur brisé du lièvre blanc. Tandis que la nuit tombait, un ciel constellé de milliers d’étoiles s’étendit au-dessus d’eux, un spectacle qu’aucun être vivant n’avait encore contemplé. Peu à peu, le pelage du lièvre blanc se mit à scintiller sous la lumière douce et caressante des étoiles.
Son pelage était d’un blanc éclatant, si pur qu’il semblait tissé de lumière. Lorsque la lune se leva, elle illumina ce pelage d’une telle intensité qu’on aurait dit une étoile vivante sur la Terre. Sous cette lumière nouvelle, il scintilla de reflets d’argent et sembla se parer de diamants. Le grand lièvre comprit alors qu’il n’avait pas besoin du Soleil pour briller ; la nuit elle-même avait ses merveilles.
Mais tandis qu’il admirait ce ciel étoilé, un autre lièvre apparut. Il venait des brumes de la plaine, rapide comme le vent. Celui-ci était brun, son pelage sombre et luisant comme la terre après la pluie. Il courait après la Lune, aussi éperdument que le lièvre blanc poursuivait le Soleil.
Il ne vit pas le grand lièvre blanc ni la petite souris et continua sa course folle après la lune qui déjà semblait déjà fuir et disparaître à l’horizon.
Le grand lièvre n’en croyait pas ses yeux. Qui était cet autre qui courait éperdument la nuit quand lui courait tout le jour. Il voulut le rattraper et s’élancer à sa suite. Mais la petite souris le mis en garde:
— Ne le poursuis pas! et au fond d’elle, elle chuchota, La Lune ne lui appartient pas plus que toi le Soleil.
Le grand lièvre épuisé, attendit la fin de la nuit et le début du jour. Ce matin-là, pour la première fois, il contempla l’aube. Il trouva ce spectacle si beau qu’il en pleura à nouveau. En un instant pourtant il perdit sa robe de diamants et ses yeux ne brillèrent plus des rayons d’argent qu’il avait pendant la nuit. Il s’endormit ce jour-là et la petite souris veilla sur lui tout le jour, épuisé par la révélation de la nuit.
Quand la nuit arriva la petite souris lui mordilla l’oreille juste avant que le grand lièvre brun n’arrive à sa hauteur.
Alors le grand lièvre blanc prit son plus bel élan et se lança dans la course avec le lièvre brun, et tous les deux l’un contre l’autre, à même allure, sans s’arrêter commencèrent la plus longue nuit de tous les temps, ils coururent des saisons entières et rien de semblaient les freiner.
Mais un jour, le lièvre blanc se souvint de la petite souris. Il pleura, car il l’avait perdue dans sa course effrénée. Pourtant, ses souvenirs des murmures de la souris lui donnèrent l’idée de chuchoter à l’oreille du lièvre brun. Ses paroles étaient si envoûtantes que, pour la première fois, le lièvre brun s’arrêta pour écouter. Pendant cet instant, la Lune s’échappa, et le lièvre brun découvrit l’aube.
Lorsque les premiers rayons du Soleil caressèrent son pelage, une transformation s’opéra : son corps sembla s’embraser, illuminé par des flammes d’or. Il brillait si intensément que sa lumière traversa vallées et montagnes, baignant le monde d’une chaleur nouvelle.
Alors le lièvre Blanc pleura à nouveau, mais ses larmes étaient différentes, mêlées de gratitude et de compréhension. La nuit tomba.
Il s’arrêta net, le cœur lourd. Où était-elle ? Pourquoi avait-il oublié celle qui l’avait guidé jusqu’ici ?
— Elle n’est jamais loin, murmura une étoile. Regarde mieux.
Le lièvre blanc leva les yeux et vit une constellation en forme de petite souris scintiller dans le ciel. Il comprit alors que, même si elle n’était plus à ses côtés, elle veillait sur eux depuis les hauteurs.
Depuis ce jour, les deux lièvres, l’un brillant comme la Lune et l’autre ardent comme le Soleil, continuèrent leur course éternelle, portant en eux la sagesse de la petite souris. Ils devinrent les gardiens du jour et de la nuit, veillant sur tous les êtres de la Terre.
Certains disent qu’en des nuits claires, si vous regardez attentivement, vous pouvez apercevoir leurs silhouettes, courant ensemble sous le ciel étoilé. Et si vous êtes très chanceux, vous entendrez peut-être le murmure d’une voix douce, vous rappelant que la lumière et l’obscurité ne sont jamais seules, mais dansent toujours ensemble.
C’était Les Gardiens du Jour et de la Nuit par Jean-Baptiste Hardy